LE FIGARO 7 juillet 1979
JEUNE TETE DAFFICHE : Philippe Caubère,
Lorenzo de la Canebière
Pas très grand, sac sur les épaules, blouson
sur le bras, décontracté juste ce quil faut, boucles au
vent et regard bleu océan. Tout simple. Lorenzaccio 1979, cest
lui Philippe Caubère. Après Sarah Bernhardt, Gérard Philipe,
Claude Rich, après tant dautres, il revêtira le pourpoint
de velours et jouera de la dague, du 16 au 28 juillet au Festival dAvignon.
Un personnage mythique pour comédien aux couleurs du temps.
Vingt-huit ans, enfant de la Canebière, Philippe Caubère na
rien dun Marius, dun Panis a laccent qui fleure le pastis
et la bouillabaisse. A peine un brin de teinte provençale sur certaines
inflexions. Non, avec son allure de tendre voyou, ses yeux azur, quelque chose
de violent prêt à exploser, il est limage du jeune premier
nouvelle manière. Beau ? Non. Une gueule. Classique ? Surtout
pas. Un rien dinquiétant où perce un autre personnage
Orange mécanique nest pas loin
avec ses héros sortis de limagination délirante de Burgess.
Pour le moment, sagement assis devant une grillade-salade, il ne pense qua
Lorenzaccio, na dyeux que pour Louvain-la-Neuve où il répète
depuis deux mois et demi, et doreilles que pour les conseils dOtomar
Krejca " lun des derniers grands artisans du théâtre ".
Il nen connaît quun autre Ariane Mnouchkine. Sept ans de Théâtre
du Soleil. Pratiquement sa seule expérience artistique. Mnouchkine, plus
quune rencontre, un dialogue. Il avait vingt ans, arrivait dAix-en-Provence,
jouait par-ci, par-là. Mnouchkine laperçoit, lenrôle
dans sa troupe. Et le voilà débarquant à la Cartoucherie.
Il a tout joué : 1793, la reprise de
1789, LÂge
dor et Dom Juan quil a
mis en scène.
Coup de projecteur, il incarne Molière dans le premier film dAriane
Mnouchkine. Un itinéraire dont il est fier. Un choix artistique quil
entend défendre contre vents et marées : " Le théâtre
a une mission, éducative, culturelle, sociale. Cela ne mintéresse
pas de jouer pour jouer. "
Pendant neuf mois, il refuse des rôles, pour accepter Lorenzaccio :
" Le théâtre de texte me manquait, jen prends conscience
maintenant. " La pièce ? Il ne la connaissait pas. Il
la dévore. Première réaction : " Quelle
drôle didée de monter ce texte démodé par certains
aspects. " Deuxième lecture : " Cest une
idée provocatrice. De nos jours Lorenzo serait de nouveau jeté
dans la lagune. " Après de nombreuses répétitions :
" Je ne porte plus un jugement moral sur luvre. Je tente
den avoir une image épique. Tout au moins, une vision contemporaine. "
La vision de Krejca. Metteur en scène tchèque qui a rejoint léquipe
de Louvain-la-Neuve. Une ville de 20.000 habitants mais un atelier théâtral
étonnant. Car cest dans cette petite localité belge que
lon brosse les décors, coupe les costumes et que les trente-deux
comédiens, avec en tête de distribution Claude Evrard (Strozzi)
et Bruno Raffaelli (le duc), se laissent guider par Otomar Krejca, mage du XX
siècle.
Marion Thébaud