A PROPOS DE LA CRÉATION DE "LA COMÉDIE NOUVELLE-SARL PHILIPPE CAUBÈRE PRODUCTIONS"
Article paru dans Le Monde daté du 17/09/88

LES HOMMES DE L'ART
Un comédien qui compte

" Le but de notre entreprise n’est pas le profit. C’est la création. " L’homme qui parle ainsi est un comédien : Philippe Caubère, qui a monté une mini-PME pour produire ses spectacles. Ainsi, c’est la société Caubère Productions qui a financé Les Enfants du soleil, qu’il interprétera à partir du 21 septembre, au Théâtre des Arts-Hébertot, à Paris.
" Un jour, ça m’a pris de jouer ma vie sur la scène ", comme il le dit joliment. Il commence par le début, c’est-à-dire par son enfance, qu’il interprète dans La Danse du diable. Mais aucun théâtre ne veut héberger cet ancien du Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine, qui joue seul sur scène avec pour tout costume un jean et un vieil imperméable. Grâce aux indemnités de chômage, à l’argent prêté par sa femme et au soutien d’amis belges, il réussit, en mars 1981, à monter son spectacle dans une petite salle bruxelloise. En juillet, Philippe Caubère joue au Festival d’Avignon. Un bon tremplin.
" Pour bien travailler, j’ai besoin de sécurité, explique Caubère. Il fallait aussi constituer une pelote pour la suite. " En 1984, il crée Caubère Productions – La Comédie nouvelle, une SARL au capital de 330 000 F, dont il confie la gérance à Véronique Coquet. Le principe est simple : chaque création devra permettre de financer la suivante.
Car monter un spectacle suppose un budget. La préparation des Enfants du soleil a coûté 650 000 F en répétitions, conseils artistiques, etc. A cela s’ajoute la location du théâtre : 750 000 F pour trois mois. Restent à payer 600 000 F pour le personnel, 700 000 F de publicité et 100 000 F d’aménagements scéniques.
Les recettes se limitent essentiellement aux entrées. Et, dans ce domaine, Philippe Caubère joue la modération. Il a fixé le prix des places à 155 F maximum. Contre 200 ou 220 F dans la plupart des théâtres privés. Et encore, la jolie salle Hébertot, qui peut officiellement accueillir 630 personnes, contient-elle seulement 500 bonnes places. Au-delà, les spectateurs se tordent le cou ! Quant aux aides publiques, elles sont irrégulières et parcimonieuses : 70 000 F en 1982, 50 000 en 1986, 100 000 en 1987... Caubère a fait ses comptes : pour échapper au déficit, il devra vendre chaque soir 350 places !
Pour pallier ces aléas, il a choisi la voie de la diversification et de la rentabilisation maximale des spectacles. Ainsi après quatre mois de tournée et trente villes visitées, La Danse du diable gagne de l’argent. L’hiver dernier, Caubère a mis en boîte sa Danse du diable : le texte et la bande-son sont édités par la société sous forme de coffret, vendu 220 F et tiré à 5 000 exemplaires.
Caubère Productions s’est aussi lancé dans la distribution au cinéma. Après un accord avec les producteurs, elle se charge de la diffusion de deux films d’Ariane Mnouchkine, 1789 et Molière, dans lequel Caubère interprétait le rôle principal. L’aventure gestionnaire de Caubère prouve-t-elle que la création théâtrale peut exister sans subvention ? " Oui, répond Caubère. Mais on n’a pas le droit à l’erreur. "

FRANÇOISE CHIROT.