PRÉSENTATIONDU FILM
ARIANE I OU L’AGE D’OR



“Les acteurs sont des poètes”Le deuxième épisode du “Roman d’un Acteur” : Ariane ou l’Age d’Or et le troisième : Ariane II ou Jours de Colère furent en fait les deux premiers spectacles créés au théâtre en 1986. Je n’avais pas encore en tête l’idée folle que toutes les improvisations faites un an plus tôt dont j’avais tiré ces deux spectacles seraient le brouillon (un brouillon souvent abouti) du grand projet du “Roman”. Mais ces deux spectacles connurent un tel succès que je ne pus, à l’issue de leurs représentations, enterrer toute cette matière sans y jeter un dernier coup d’oeil. Il y en avait 140 heures... Il me fallut pour tout visionner plus d’un bon mois. Au bout du compte, l’évidence me sauta aux yeux : j’avais, sans le savoir, improvisé une histoire et il allait falloir la raconter jusqu’au bout. Même en étant sévère, des 140 heures en resteraient 33 : bonjour l’aventure ! Mais, c’est vrai, le “noyau dur” de l’aventure, l’aventure dans l’aventure, ce fut Ariane ou l’Age d’Or. Raconter au public, à tous les publics, ce personnage. Cette femme dont le destin me fit croiser le chemin en 1971, qui me prit sous son aile et m’enseigna le métier d’acteur et le métier d’homme, On me demande souvent si “ce n’était pas trop dur” et parce que mon film est noir, contrasté, burlesque, j’ai du mal à faire comprendre que ces années d’apprentissage furent des années de bonheur extrême, intense, des années de joie. J’ai retrouvé là-bas ce dont je croyais que l’adolescence m’avait privé à jamais : l’enfance. Ça ne veut pas dire qu’il fallait (qu’il faut) devenir naïf ou idiot pour entrer au Théâtre du Soleil, encore moins pour y rester, mais qu’il fallait retrouver l’enfance ; c’est-à-dire la fraîcheur, la force, l’audace, la cruauté et la clairvoyance. Et là, sous le regard d’Ariane, ce regard si désiré, si terrible mais si libérateur, on pouvait trouver la liberté et s’envoler sur les ailes de l’imagination. Un jour dans un journal, Ariane a titré un article : “Les acteurs sont des poètes”.
Que cette pièce, aujourd’hui ce film (j’ai assez parlé à l’occasion de la sortie des Enfants du Soleil de ce que je pensais des relations intimes et naturelles entre le théâtre et le cinéma) que ce film donc, soit la réponse éclatante, vivante et joyeuse à ce titre en forme de défi. Qu’il célèbre encore et toujours l’aventure du “Soleil”, de sa créatrice et de ses enfants. Qu’il en devienne un jour la légende. Et que, dans ce Festival d’Avignon au cours duquel le cinéma Utopia me permet de le présenter, ce festival quinquagénaire dont il est dit partout qu’il est dédié aux comédiens, il raconte à la jeune génération ce que fut L’Age d’Or : le seul spectacle qu’un metteur en scène moderne tira de ses comédiens pour mieux le leur offrir et même le leur abandonner ; et la jeunesse de l’un d’entre eux, le plus jeune à l’époque, le plus modeste, le plus ardent : Ferdinand Faure.


Philippe Caubère

18 juin 1996