Texte de présentation :


Écrire sur L’Homme qui danse à quelques mois de le créer à Paris… ! Que dire? Que c’est le bout d’un cycle? D’un travail de vingt-cinq ans? Que c’est… «la mort de Ferdinand»? Bien sûr, tout ça. Le problème, c’est que personne ne me croira. Comme si j’avais crié au feu ou au loup pendant tout ce temps et que maintenant, comme dans la fable… on ne m’écouterait plus. Sauf que j’ai jamais crié, moi. C’est les autres. Lesquels? Je ne sais pas. D’autres. Qui décidaient régulièrement pour moi que «ça y était», que «c’était fini», que je «l’avais promis» ou je ne sais pas quoi. J’ai rien promis du tout, moi, jamais. Si ce n’est, au contraire, de tout faire pour essayer d’aller jusqu’au bout de ce truc, sachant les difficultés de plus en plus grandes à l’assumer, physiquement, moralement, socialement, psychologiquement. Non pas du tout que je me serais senti incapable de faire autre chose - monter des pièces de théâtre ou jouer dans des films, par exemple - mais qu’il me semblait que ça valait le coup d’essayer d’imposer cette chose au sein du paysage théâtral de mon époque. Dès 68, - j’avais dix-huit ans - j’avais remarqué que l’esprit de sérieux et la mauvaise littérature qui en découlait y faisaient trop souvent et facilement la loi. Tout le monde n’était, ni ne serait Valetti, Novarina ou Benedetto. Quant à Dubillard, Ionesco, Devos ou Dario Fo, ils étaient déjà des classiques. N’étant pas capable d’en fournir moi-même une bien meilleure, de littérature, j’avais trouvé amusante, peut-être même importante, l’idée d’essayer, à ma façon et ma mesure, d’en inventer une autre, celle venue… de ma vie. Des mots de la vie. L’écriture orale comme on dit ou quelque chose comme ça. Et d’opposer à ce sinistre esprit un autre, fut-il parfois mauvais : le mien. C’est ainsi que j’ai improvisé devant Clémence et Tailhade à la façon du Théâtre du Soleil, non plus sur le thème général et sempiternel de « la société », mais sur moi, mon enfance, ma jeunesse, cette part de ma vie déjà passée. Comment vient l’envie d’être comédien. Sans bien m’en rendre compte je leur ai tout joué : ma mère, mes rêves d’enfance, d’adolescence, 68. Et puis les années d’apprentissage : Ariane, etc, jusqu’à ce moment de ma vie où, en effet, plutôt que de mettre tout ça à profit pour essayer d’en tirer je ne sais quel plan de carrière, j’avais préféré m’arrêter et regarder autour de moi. Derrière, devant. Dedans. Et décidé d’en faire une pièce de théâtre. Qui serait comique, réaliste, figurative, sentimentale. Pas abstraite ni symbolique. Pas non plus « bien écrite », mais plutôt bien… écrite. Avec mon corps autant qu’avec ma tête. Avec mes tripes autant qu’avec mon cœur. C’était en 1980, j’avais trente ans. Je pensais que j’en aurais pour cinq ou six ans. L’un dans l’autre, de La Danse du diable à L’Homme qui danse, ça m’en aura pris vingt-cinq. Vingt-sept, quand j’aurai terminé les tournées. Autant dire toute ma vie ou à peu près. Il m’arrive souvent, au cours de mes insomnies, de me demander si j’ai fait le bon choix. Mes amis, qui sont très gentils, me certifient que oui. Le directeur du Théâtre du Rond-Point, auteur lui aussi, -pas triste lui non plus- acteur et metteur-en-scène de haute volée, en m’y accueillant me le garantit. Moi, dans le secret de mon lit, il m’arrive d’en douter. Le plus cruel est que je n’en saurai pas plus tant que je n’aurai pas tout joué, filmé, fini. Et ne me retrouverai pas une deuxième fois devant la page blanche. C’est là qu’on verra. En attendant, mon Dieu, qu’en dire?!… Rien. Si, tiens, juste ça: venez nombreux, on va se marrer!

Philippe Caubère 21 février 2006.

à Clémence et Jean-Pierre,
sans qui rien n’aurait existé

PS: Un « épilogue » à L’Homme qui danse avait été annoncé dans le programme de saison. Il est annulé. Est-ce à dire que l’aventure ne serait pas terminée ? Bien sûr que si, mais ce sont les avatars de l’écriture vivante. Il faut annoncer les choses à l’avance et puis le travail a lieu et l’on se rend compte que les choses ne sont pas ce qu’on imaginait. Il n’est pas impossible d’ailleurs que cet épilogue soit créé ultérieurement, si la nécessité s’imposait à moi. Il n’est pas impossible non plus que, même dans ce cas, je ne le fasse pas. Toute œuvre, même celle d’un farceur, court le risque d’être inachevée… Si tant est que celle-ci le soit. Ce que je ne crois pas.

Philippe Caubère 6 juin 2006.